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Introduction à la philosophie Ultra avec Sébastien Louis, historien et auteur

 

de Ultras, les autres protagonistes du football aux Editions Mare & Martin

 

 

Q : Comment définir la culture ultra et qu'est ce qui différencie un supporter ultra d'un supporter de football classique ?

 

 

Qu'entendez-vous par supporters radicaux ? 

 

S'agissant précisement des ultras, qu'est ce qui les différencie des ces autres branches et permet ainsi d'en donner une définition ?

 

Q : Cette culture est aussi composée et faite de valeurs fortes, partagées par l'ensemble des groupes ultras. Peut-on en distinguer certaines ?

 

Q : Justement, plusieurs groupes français et étrangers multiplient sur leur territoire les actions sociales depuis un an et le début de cette crise pandémique. Ce rôle social est l’une des composantes originelles du mouvement ultra ou cela est arrivé plus tard en conséquence et en réponse aux différentes crises successives ?

Q : Pourtant, paradoxalement une grande majorité des groupes ultras insistent à se définir comme apolitiques. N’y-a-t-il pas confusion entre apolitisme et politisation ?

Q : Font-ils donc du stade un lieu politique ?

Q : Pourquoi ?

 

Sébastien Louis : C’est une définition qui est toujours compliquée à donner. Quand je demande à certains ultras, eux-mêmes ont parfois du mal à l’expliquer de manière rapide et concise.

Pour moi, je l’explique notamment dans mon livre, il y a une chose qui différencie les groupes de supporters radicaux des groupes de supporters traditionnels : c’est la question de la violence, qui s'apparente à une sorte de ligne rouge.

Les groupes de supporters radicaux acceptent l’idée de la violence au stade. Cela ne veut pas dire qu’ils vont casser la figure de tout le monde mais ils savent qu’il peut y avoir des faits de violence auxquels ils peuvent potentiellement participer.

 

C’est une famille à plusieurs branches. On peut en distinguer cinq :

- Les ultras, nés en Italie entre 1967 et 1971.

- Les hooligans, qui apparaissent en Angleterre au milieu des années 60.

- Le modèle balkanique, comportant également les Turcs, qui est un modèle hybride entre les ultras et les hooligans.

- Il y a ensuite le modèle sudaméricain des Torcidas qui existe depuis les années 1920-1930, représentant les groupes de       supporters traditionnels qui se sont par la suite radicalisés. Ils ont emprunté énormément d’éléments à la culture du carnaval,     notamment.

- Enfin, on a le modèle des Barras Bravas qui vient d’Argentine.

 

 

Être un supporter ultra, c’est être passionné de son club et le soutenir de façon très active au sein de son groupe.

La culture ultra se distingue des autres cultures du supportérisme radical par des éléments très simples.

Le premier : le groupe est visible. Les hooligans et casual par exemple ne le sont pas. Dans le stade, les ultras ont une banderole. On les reconnait, ils sont identifiables et s’identifient derrière cette banderole.

La deuxième chose : il s’agit d’un collectif. On n’est pas un ultra tout seul. On doit faire partie d’un groupe, que l’on met en avant par rapport à l’identité de l’individu. Si vous allez voir des ultras, la plupart d’entre eux refuseront d’être pris en photo. S’ils refusent cela, c’est pour ne pas être mis en avant, car ce qui compte, c’est le collectif. C’est fondamental.

La troisième chose est le soutien, par tous les moyens possibles, de son club. Ce soutien est fait d’un folklore très important : les drapeaux, les fumigènes, les couleurs, les scénographies, les papelitos, la scénographie en tribune etc…

Le but est de se faire remarquer, de se distinguer dans le stade. Pourquoi ? Car les ultras jouent un match dans le match. Ils doivent chanter plus fort que les autres, produire le plus beau spectacle, être les plus nombreux en déplacement, avoir les gadgets les plus originaux et, parfois, être les plus violents.

 

 

Il faut faire attention. Les ultras s’attachent à un ensemble de normes qui ont évolué depuis maintenant cinquante ans. Cette culture ultra est apparue en Italie entre 1967 et 1971. Elle s’est répandue par la suite dans d’autres pays : l’Espagne, le Portugal et la France au début des années 80, puis les pays d’Europe du Nord ensuite. Aujourd’hui, elle est présente dans le monde entier.

On retrouve des ultras partout. De l’Irak à l’Indonésie, de la Pologne au Luxembourg, en passant par les Etats-Unis, le Canada, Chypre, Israël. La culture ultra a contaminé le monde.

Mais en même temps, ses normes ont évolué. Les ultras se retrouvent toutefois derrière certaines valeurs communes. Parmi elles, la solidarité a une place très forte. On retrouve aussi une passion pour son club qu’on est prêt à défendre en allant parfois jusqu’à la violence. Je parle beaucoup de la violence mais attention ! Celle-ci ne représente même pas 1% des actes des groupes ultras. Il s’agit de quelque chose d’extrêmement central mais de très peu pratiqué.

Ensuite, il s’agit aussi d’un mouvement de jeunesse, donc avec énormément d’éléments de provocation. L’image liée à la violence est aussi utilisée pour provoquer, marquer et choquer.

Les ultras sont aussi les défenseurs d’un club et non de joueurs. Les joueurs s’en vont, les supporters restent. Ils défendent un blason, un club, un maillot. Ils sont les syndicalistes du football populaire.

Depuis une vingtaine d’années, les ultras ont des revendications très marquées par rapport à la transformation du football, à sa commercialisation. Ils défendent l’idée d’un certain football. Un football qui n’est pas totalement industrialisé comme celui d’aujourd’hui, avec des équipes aux effectifs pléthoriques, des joueurs qui changent de clubs tous les trois mois.

Par exemple, au printemps dernier, des groupes ultras du monde entier se sont opposés dans un communiqué à la reprise des championnats, par rapport à la situation liée au Covid-19. Ils s’y sont opposés afin de privilégier la santé publique. Ils ont mis en avant l’intérêt du collectif, de la société, avant ceux de l’industrie du football.

Cet aspect social est apparu plus tardivement, il est récent. En Italie, par exemple, l’une des premières actions de ce type que j’ai pu retrouver lors de mes recherches date du début des années 1980. Les deux groupes ultras de l’AC Milan avaient tellement d’argent dans leurs caisses qu’ils ont décidé de les vider à une association luttant contre le cancer.

Par la suite, les groupes ultras italiens ont multiplié ce genre d’actions. A Cosenza, petite ville de Calabre, par exemple, l’un des ultras est un père franciscain. Il a décidé d’emmener des ultras en Afrique et de créer des actions solidaires avec certains villages du Burkina Faso et du Burundi.

Du fait de la situation pandémique que l’on connait, nous avons vu que le groupe ultra était ancré sur le territoire. Au stade, les ultras sont les chefs d’orchestre de l’animation. Ils peuvent se transformer en chef d’orchestre sur un territoire qu’ils connaissent bien. Il faut aussi savoir que le mouvement ultra est transocial, on retrouve des membres issus de toutes les classes sociales. Les ultras sont l’une des rares méritocraties de la société française. Celui qui est à son poste y est car il le mérite, du fait de ses efforts.

Cette fameuse mentalité -bien que je n’aime pas trop ce terme et préfère parler de philosophie- ultra veut que l’on s’engage dans son groupe à corps perdu. Les plus méritants accèdent aux postes de dirigeants.

Effectivement, une grande partie des groupes ultras se définissent comme apolitiques. Mais tout ce qu’ils font est politique. Il y a deux façons de voir la politique. Eux en parlent en tant que politique de partis. Ils s’éloignent de tous les partis politiques qui voudraient les récupérer. Même les groupes ultras politisés, entre guillemets, qui affichent des symboles ou drapeaux d’extrême gauche ou d’extrême droite sont très loin de ces partis.

Quoi qu’il en soit, les ultras sont extrêmement politisés. Politique dans le sens de la cité, la polis. Ils sont ancrés dans la cité et toutes leurs actions sont politiques.

Un collectif de jeunes gens qui soutiennent une équipe, s’opposent aux dérives du football 2.0 et de son industrie : c’est politique. Privilégier le groupe à une société extrêmement individualiste : c’est politique.

Toutes leurs actions sont politiques mais elles ne sont pas liées à un parti.

 

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Le stade est un miroir de nos sociétés. Souvent, les comportements que l’on voit au stade précèdent ceux qui vont arriver par la suite dans nos sociétés.

Je me souviens d’un chant très célèbre des ultras du Raja Casablanca qui a ensuite été repris dans tous les pays. La population marocaine a vénéré ce chant. Des parents d’amis marocains qui ne connaissaient rien au football entonnaient ce chant extrêmement politisé à l’encontre du pouvoir.

On a aussi exagéré parfois ce côté-là. Je pense à l’Algérie, où l’on a vu et défini les ultras comme les fers de lance du hirak. Ils ont fait parti du hirak mais jamais il n’y a eu cette union fantasmée des groupes ultras rivaux algériens pour le hirak : c’est faux, bien qu’il y ait eu certains éléments ultras repris durant les manifestations.

Au contraire de l’Egypte, où il y a eu une union de certains ultras, au Caire, pour aller manifester place Tahrir en 2011.

Cet exemple cairote est d’ailleurs intéressant. Bons nombres d’ultras du monde arabe ont par la suite rejeté ce qu’on fait les Ultras du Caire, les Ultras Ahlawy et les Ultras White Knights, car ils ont vu que cela a causé la fin du mouvement ultra égyptien. Cela explique pourquoi certains jeunes ultras algériens ou marocains ne s’impliquent pas dans les hirak locaux. Plusieurs fois au Maroc, en Algérie ou en Tunisie j’ai entendu cela : « nous, on ne veut pas finir comme les Ultras du Caire ».

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Au printemps 2015, une décision judiciaire va interdire les ultras. Ceux-là sont dans l’œil du cyclone par rapport à leur rôle Place Tahrir lors de la Révolution de 2011. L’idée de cette décision est tout simplement d’éliminer tous les groupes dissidents. Les ultras en font partie. Un tribunal va les qualifier comme organisations terroristes.

Bon nombre d’ultras du monde arabe ont aujourd’hui peur désormais et ne voient pas les ultras égyptiens comme des héros. Ils sont vus comme des Martyrs.

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Chambre

Ça y est ! Te voilà initié à la culture ultra. Tu comprends désormais un peu mieux ma passion, ce qui animait mes journées et mes week-ends il y a quelques années...

 

Comme vient de l'expliquer Sébastien Louis, nous, supporters ultras d'Egypte, vivons une situation délicate depuis 2015. Cette décision est le fruit d'années de répression, marquées par plusieurs drames...

 

Je t'invite à jeter un coup d'oeil à ma collection de billets, retraçant l'histoire des Ultras du Caire, pour encore mieux comprendre tout cela.

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Retour dans la chambre

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Photo : Elwy El-Manzalawy

Photo : Giovanni Ambrosio

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" Les ultras sont les syndicalistes du football populaire "

Ultra : a way of life